J'ai jeté quelques brins d'herbe sur elle, comme on jette de l'eau bénite sur les tombes de la tristesse et de la monotonie. Couleur et saveur des soleils de juin. Un peu froid en manches courtes; mais on résiste quand même, parce que c'est la première fois de l'année, que ça vaut le coup. Les chaussures enlevées, écrasées dans un coin pour ne plus les voir; et les chaussettes ridicules exposées à l'air libre. Tout était extrêmement léger, même la lumière ne pesait que quelques grammes à peine.
Ca m'a toujours étonné, cette façon que l'herbe a d'être ostensiblement verte; ou peut-être qu'elle constraste seulement avec le gris de la ville. En tout cas, aujourd'hui, elle ressemblait à un tapis volant en gazon, molle et grasse, un rien humide - de l'hiver plein les seins -.
On mangeait des cookies en écoutant des poèmes de Boris Vian, on racontait nos rêves ou nos contes avachies dans la légèreté du moment.
A un moment, pour rire, pour jouer les vieilles râleuses qu'on a peur de devenir, pour écarter la menace grinçante de demain et surtout d'après-demain, on a engueulé des enfants qui se chamaillaient, en prenant les voix toutes ridées des gens figés dans leur vie comme dans de la graisse froide. Sauf qu'on riait en même temps, alors les mouflets ont pas eu peur. Ils étaient même ravis de l'attention qu'on semblait leur accorter. Y en a un qui a suivi d'un air béat nos deux mètres soixante-quinze [et plus pour elle], avant de déclarer très solennellement à ses copains qui le hélaient: "J'ai des amies, moi, maintenant". Prononcez amieeees, comme un prof qui lit une dictée.
Avec sa valise, on traçait un sillon bleu et noir dans la foule des Halles; et juste après qu'on soit passées, la plaie se refermait et ça continuait déjà. (Pour une fois que je ne me suis pas plantée dans la saison -- essayons d'oublier l'incident technique d'hier soir qu'on a pulvérisé de douceur aujourd'hui, et tant pis pour les cabots cahots cabosses ou comment découvrir que le crâne est une partie du corps résolument solide)
à 18:48