Quand nous discutons, il prétend que Bordeaux est une ville bleue, je dis qu'elle est blanche. Aucun de nous ne l'a vue et nous nous disputons à moitié pour une chose qui n'existe sûrement pas. Un désaccord en pointillés qui ne rime à rien.
Et pourtant, nous finissons toujours par conclure qu'elle n'est pas rouge.
Ils m'angoissent avec leur compétition, leur sélection, leur qualification et tous les -ion -ion -ion imaginables. En sport, c'était bien quand on devait se laisser manipuler par l'autre; on me tordait comme une poupée de grenier, hop un bras étrangement placé au-dessus de la tête, une jambe qu'on tord sous la poitrine. Avec Tiphaine, on a dit qu'on referait l'humanité en commençant par le corps: on viderait tout l'intérieur parce que c'est moche, et puis j'enlèverai la peau parce que ça ressemble à du caoutchoux mort, et tous les cheveux tous les poils, puis on couperait les extrémités et les articulations pourraient se plier dans tous les sens. On pourrait se lécher le coude, par exemple (depuis qu'on m'a dit que c'était impossible, je suis très frustrée de ne pas pouvoir le faire). Voilà, "dévisagez-nous, nous vous défigurerons". Et enfin les gens seraient bien. Ils se baladeraient sur les trottoirs en se contorsionnant comme des courants d'air.
Le chantier me manque, toujours après coup comme d'habitude. J'aimais les chocolats chauds pris à quatre heures du matin parce que pas envie de dormir, les Fort Boyard en transportant des tables ou en courant avec une bâche sous un orage (et la bâche ressemblait à une immense cape de super héros, ou à la traîne d'une princesse en super-plastique), regarder les étoiles filantes sur la même bâche et pouvoir dire "Ah, j'en ai vu une" en même temps que l'autre, polémiquer pour celle qui prendra le matelas de Coline, m'allonger sur l'estrade pendant que la petite demoiselle du chantier essait de me persuader de jouer aux pirates avec elle, regarder les gens faire le téléviseur avec un cadre en bois, compter nos points de maladresse, grimper sur des mottes de paille, être près du feu même si c'est trop chaud, faire de la musique avec des coquilles St-Jacques, chanter Ricorée le matin encore plus faux que Anne, arracher les herbes des murets -surtout quand elles cèdent dans la main avec la racine, ça donne l'impression d'être calmé -, et là-bas les chouettes effraies sont des gens bourrés qui ronflent quelque part dans la cour
A mort le matérialisme guilleret mais
c'était tellement
bien.
Dans un monde parfait je
[pas de guêpes, bien sûr]
[ou alors des guêpes édulcorées, qui font pas bzz et qui piquent pas, et qui mangent uniquement des feuilles d'arbres, et qui se posent sur les doigts des gens comme des oiseaux de dessins animés. Voilà.]
J'en n'en suis pas sortie ratiboisée de bonheur mais j'ai l'impression que mon serpent technicolor sur le visage en est un peu plus vif.
à 19:43