Elle, quand elle dit "Plus tard, je serai chômeuse recalculée", elle a la voix de celle qui maîtrise tout parfaitement. Elle sort ça sur le bord des trottoirs où elle s'assit toujours, sa cigarette à la main, et les cheveux n'importe comment, d'ailleurs j'ai toujours peur que la braise lui en brûle. La main qui tient la cigarette est pleine de cicatrices qui ressemblent à une carte de géographie, vous savez, ces grands papiers tout veinés de routes que je ne sais lire que dans le mauvais sens. Quand elle dit "chômeuse recalculée", elle n'a l'air ni pathétique ni stupide, juste un peu fatiguée peut-être.
Je ne veux pas faire de prépa, je crois. Je n'ai pas le goût du travail bien fait, de l'endurance, du travail tout court. Je bâcle les obligations avec ma dose de retard habituelle, je ne dors que quelques heures pour pouvoir paresser plus longtemps. Tu parles d'une future élève de prépa. Va te rhabiller.
Je ne veux rien faire du tout. Et dans mes moments les plus entraînants, je me résout à dire que je trouverai bien quelque chose parce que c'est impossible de disparaître comme ça dans le vide de la population inactive.
Je n'ai jamais mis de chaussons parce que ça me donne l'impression de cocons qui bouffent les pieds.
J'ai mordu un médecin à l'âge de trois ans, il a encore la cicatrice, et il me jette un regard absolument terrible chaque fois que je le croise.
Je me sens apte à faire plein de choses seulement à deux heures du matin.
J'entasse les objets jusqu'à ce qu'ils tombent et après je les laisse par terre.
Je regarde les gens dans le rer en observant leur reflet dans la vitre.
J'hésite à commencer des cours de grec grand débutant en quart d'année.
Je ne suis pas aculée et je refuse de l'être.
Même si le temps de l'été a été perdu il y a trois milliards neuf cent mille millions de milliers de quarante cent douze années.