Au mariage j'avais la larme à l'oeil. Une seule larme en fait, très sèche, et très aiguisée, qui raclait toute la paupière inférieure.
Je pleurais de mépris. Je ne sais pas si ça vous est déjà arrivé. C'est désagréable.
Les mariés aux sourires extra-larges, le beau jeune homme talentueux, "ingénieur d'affaires" qu'ils ont dit à la mairie quand ils ont cité sa profession, même plus boutonneux, accompagné d'une cinquantaine d'amis pour l'acclamer - et elle, mince et belle, on est obligé de reconnaître que sa robe de mariée lui va bien, la rose enlacée dans ses cheveux aussi, elle a heureuse, sévère perfectionniste mais heureuse. Il lui tient la main, on voit ses jointures qui en blanchissent, pendant que le maire lit tout seul sa déclaration. Derrière eux, sur les premiers bancs, il y a les parents aux anges endimanchés jusqu'au cou qui les regardent d'un air fier et comblé.
Et moi quelque part sur le côté, avec la gorge qui se serre de mépris et le fiel qui inonde la tête. Leur perfection m'ereinte, comme s'ils me frappaient avec, comme s'ils me rouaient de coups alors qu'ils ne font que regarder le maire d'un air béat. Et plus je les vois plus je me dis que je ne veux pas les revoir, parce que le constat de leur bonheur enraciné malgré les doutes les peurs les bris ressererait d'un cran ou deux le noeud dans ma gorge.
Je ne veux plus les voir, je ne veux plus voir leurs gosses qui seront eux aussi des ingénieurs d'affaires - on dira "ingé" pour aller plus vite (C'est ma grand-mère qui m'a crié dans l'oreille, quand je suis revenue "Alors tu t'es trouvée un ingéé? Tu avais le choix"), qui seront roses et pas grassouillets parce que maman leur cuisinera des légumes, qui joueront aux p'tites voitures quand moi je jouerai aux p'tites râtures. Tout sera parfait et Huxley se retournera dans sa tombe, puisque le meilleur des mondes aura vaincu.
Je m'en veux d'être aigrie à dix-sept ans. Pas pouvoir supporter de les voir s'embrasser d'un air si parfaitement heureux. Je dois avoir une dent de l'hydre coincée dans le corps, et qui me ronge les entrailles, comme les boules de fer rongent les démons chez Miyazaki.
à 22:37