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Des martiens dans la stratosphère

Hier, je les regardais tous (j'étais à une soirée de terminale).
Je me suis souvenue de ce premier jour de 4ème où on devait se présenter à la classe, vous savez, la petite présentation stupide, moi-je, et on ne sait jamais quoi dire, alors on enfile les banalités, on tire sur sont ee-shirt pour s'occuper les mains, et devant nous le professeur principal a un sourire un peu affable.
Ce fameux jour de 4ème, on nous avait dit de choisir une image qui nous représentait, parmi toutes celles étalées sur le bureau. Evidemment je ne me suis pas pressée, et j'ai pris une de celles qui restait, l'image d'un oeil immense, un peu "Big Brother" si j'avais lu 1984 à l'époque. Pupille très ronde, dilatée dans une paupière écarquillée.

Evidemment, la question piège est tombée. "Pourquoi as-tu choisi cette image, Audrey?"
C'est une question un peu bête, vous en conviendrez. On choisit une image parce qu'elle nous plait, tactilement, empiriquement, c'est comme ça. Elle nous a attiré. Elle contrastait avec le blanc taggué du bureau, c'est tout.
Elle a répété la question, comme pour me faire parler. "Pourquoi as-tu choisi cette image, Audrey?"
A l'époque je ne savais pas trop parler. Maintenant, bien sûr, je connais les gestes qui rassurent et qui peuvent captiver le public, les introductions qui font s'allumer l'oeil des réticents. Je sais avoir l'air posée, parler d'une voix sûre d'elle-même êt sûre de ce qu'elle dit. Je sais sourire au bon moment pour appuyer mes phrases, avoir l'air de réfléchir en parlant, même si ça n'est pas le cas. Tout, je l'ai appris sur le tas, mais en 4ème je ne le savais pas, évidemment.

J'ai du dire quelque chose comme "J'aime bien regarder les gens." Ca, c'était déjà vrai à l'époque. Elle m'a assené un autre "Pourquoi?" sur la tête. Un peu blessée par ses questions qui pouvaient bien remonter jusqu'au dieu des philosophes, j'ai commencé à grogner, à lâcher les mots les uns après les autres dans un espèce de brouhaha qui sortait de ma gorge:
"J'aime bien regarder les autres, parce que c'est bien d'être un oeil. On peut voir sans être vu. On peut voir tous les détails, et même les détails des détails. Je crois qu'il n'y a rien de mieux que de regarder les gens. En tout cas je les regarde toujours, et plus je les vois plus je suis contente. J'aimerais bien n'être qu'un grand oeil, en fait."

La femme aux pourquoi n'a pas compris ma réplique. Ca l'a juste fait rire. Elle a sorti un "Ah bon?" et puis est passée à l'élève suivant, un type qui parlait d'une tasse à café. D'ailleurs je le connais toujours, il est en S aujourd'hui, toujours aussi boutonneux et il ne doit même plus se souvenir qu'à treize ans, je parlais déjà d'oeils et de regards. Je l'ai vu à la soirée d'hier.


... soirée d'hier (note: pensée à renouer le fil avec la pensée du début.)
Mais il y a un lien: à la soirée d'hier, je les regardais tous, et je n'étais rien d'autre qu'un oeil. C'est vraiment une sale manie, être un oeil. Vous pensez bien, tout ce qu'on râte, en étant un oeil! Les bras, les jambes, le cou, vous faîtes fi de tout ça pour ne devenir que cette espèce de pupille abandonnée qui regarde les gens jusqu'à se les rentrer dans la rétine. J'étais assise sur un rebord de pierre; j'avais bien choisi l'endroit, juste celui où les branches du saule vous cache un peu de la piste de danse, mais où, entre le métier à tisser des feuilles, vous pouvez encore apercevoir les corps qui bougent en cadence. Voir sans être vu: et c'est à ce moment-là que je me suis que j'étais un oeil. Mais cette remarque était plutôt une insulte.

Je n'arrive pas à participer aux choses. Olivier m'a appris quelques passes de rock et ce n'était pas bien dur, il suffisait de se laisser guider par le partenaire en faisant mine d'être un peu souple, un peu danseuse. C'est un rôle qu'on peut tenir un certain temps, quand on est en forme.
Et je suis allée manger à l'écart des autres, quand tout le monde croque à l'unisson dans ses brochette, on dirait.. on dirait des repas de cannibales, des sacrifices animaux en groupe, c'est toujours un peu écoeurant d'entendre la batterie frénétique de l'ivoire des dents sur la viande.

Je me suis dit, soit je suis un oeil, mais j'ai fini de les regarder. Il y a longtemps que j'ai cessé de les prendre pour objets de mes regards, ils m'ont assez repue à ce niveau-là.
J'en vois à la pelle, des Terminales qui se lamentent sur leur dernière année scolaire, ah comme c'était bien, tout ça, on s'est tellement amusé, on va changer de vie et on regrette, nous on regrette. Moi il y a longtemps que j'ai décollé [peut-être même plusieurs années], que j'ai emprunté une autre piste de lancement. Plus besoin de stagner dans les brochettes et dans le rock artisanal, je n'arrive pas à regretter l'année de Terminale. Elle a été belle par certains côté, comme toutes les années, mais je l'ai vécue comme un film dont on est obligé de regarder le début pour connaître la fin. Et plus je les regardais hier, danser et pleurer en se disant au revoir on se reverra hein, plus je me disais que je n'en reverrai probablement aucun, parce que dans la coupure il y a une forme de liberté qui est le renouveau.

Ecrit par Kohva, le Samedi 4 Juin 2005, 03:01 dans la rubrique "".