Virgules
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Un enterrement de vie de vieille fille
Il y a quelques temps, je me suis rendue à l’enterrement
d’une femme que je ne connaissais pas personnellement. Je n’avais fait que
la croiser. C’était la titulaire du poste que j’occupe aujourd’hui. Déjà, je
trouvais qu’il avait entre nous de troublants points communs. En plus de faire
le même métier, elle était, disait-on, désagréable et passionnée. Le jour des
funérailles, en voyant sa photo sur le livret de messe, j’ai eu un coup au
cœur : cette grosse femme décatie, le regard en coin, n’était-ce pas moi
avec quelques décennies de plus ? J’ai passé toute la cérémonie dans un
état second, au fur et à mesure que la coïncidence s’approfondissait. Litanies
biographiques : « Elle a passé toute sa vie dans un célibat subi,
qu’elle regrettait mais dont elle a essayé de tirer la meilleure part en
s’investissant auprès de ses étudiants. » Impression qu’on vient de lire
ma rubrique nécrologique. Effarement : je suis cette femme, plus la chance
peut-être d’une unique rencontre sans laquelle j’aurais comme elle creusé à
mains nues la fosse de ma propre solitude. J’avais
l’impression que c’était moi qu’on enterrait. Je m’imaginais avancer vers le
cercueil, l’ouvrir et y trouver mon propre corps. J’assistais en personne à mon
enterrement de vie de vieille fille.
Ecrit par Kohva, le Mercredi 15 Mars 2017, 16:19 dans la rubrique "".
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