Comme ma chatte semblait être particulièrement taciturne ces derniers temps, ma mère a émis l'hypothèse d'une pseudo dépression à son sujet.
"- Elle ne fait que manger, répétait-elle d'un air soucieux. D'ailleurs elle est franchement grosse.
"- A cause de l'hiver.
"- Et elle ne s'amuse même plus. Elle dort.
"- A cause de l'hiver.
"- Oui mais là, elle dort vraiment beaucoup, et elle ne sort presque plus. C'est mauvais signe pour un chat, ça, très mauvais signe.
Nous avons tous considéré la petite chose d'un oeil torve.
"- En fait, je crois qu'elle est un peu dépressive, a déclaré Maman en lui grattant le ventre (fort gros d'ailleurs, je l'ai déjà dit, étiré comme de la pâte à ballon. Mon chat, boulimique?)
Pendant trois jours, nous avons observé le matou histoire de voir si elle couvait une quelconque forme de maladie psychologique grave. Nous ne faisions pas de bruit en entrant dans les pièces où elle dormait. Nous servions des doses précises de croquettes. Nous la prenions dans nos bras avec une délicatesse surévaluée (constatant qu'elle devenait de plus en plus lourde). Et nous en parlions à tous les repas.
"- Elle a quel âge déjà?
"- Euh.. Six.. Huit.. Neuf.. Euh.. J'en sais rien. On va dire quatre."
Puis Maman a décidé de l'emmener chez le vétérinaire, "juste pour voir".
Et le verdict est tombé.
Elle va avoir des potits bébés.
Finalement, elle avait peut-être un peu plus que quatre mois.
Evidemment, Papa a piqué sa crise en hurlant qu'on était des irresponsables et qu'il refusait que sa belle maison soit envahie par les chats (surtout des chats qui font des chats qui font des chats. Enfin ça, c'est la nature, papa.)
Je commence à rechercher des inscriptions pour les futurs chatons. Mais comme ma rue est déjà truffée d'annonces pour en donner, je crois que je vais avoir du mal.
"- Si on arrive pas à les placer, c'est toi qui les tuera, s'est empressée de dire ma mère. Tu te débrouilleras."
Donc voilà, si vous habitez la région parisienne, et que vous voulez un chat, merci de m'envoyer un mail, je vous contacterai dans les semaines à venir (n'ayant pas spécialement envie de tuer des chatons. Enfin je le ferai si j'y suis obligée: mieux vaut les voir s'éteindre tout doucement plutôt que de les laisser crever de faim dehors avec les autres chats de gouttière. La mort, des fois, c'est une question d'humanité.)
[Et puis après, évidemment, faire opérer le chat qui n'a pas quatre, mais dix mois]
Mon frère lui aussi a fait passer le message. Il est revenu tout content hier, rayonnant de sa bonne action, clamant dans la cuisine:
"- Des enfants de ma classe veulent les petits chats! Brian en prend trois, Julie deux, et Marc quatre. Voilà. Ils vont demander à leurs parents."
Et de me faire un immense sourire, de la neige au bout du nez.
[Non, finalement je crois que je n'aurai jamais le courage de les tuer s'ils naissent. Faible; mais, au moins, pas détachée de la sensibilité la plus basique. Je peux en parler un peu froidement maintenant, parce que pour moi ils ne sont rien, ils sont hypothétiques. Mais dès que je les verrai, je sais bien qu'il me sera impossible de les imaginer dans un sac avec de l'éther..
J'ai toujours eu peur de cette part de moi, la part un peu sadique, celle qui sait qu'elle peut blesser et faire mourir, et qui en est étrangement fascinéee. On l'a tous plus ou moins, mais je ne sais pas comment contrer la mienne, elle déborde parfois sur moi-même et je me dégoûte. C'est celle qui regarde les animaux et les humains agoniser sans pouvoir détacher son regard même si elle est révulsée. Celle qui se dit, chaque fois qu'elle se trouve en face de quelqu'un, qu'elle aurait la possibilité de le tuer; chaque fois qu'elle se perd dans la foule, qu'elle pourrait se faire exploser au milieu d'eux. Et actuellement, celle qui pense aux chatons sans repousser avec autant de hargne qu'elle voudrait l'idée de leur mort. Malsain.]
à 02:17