Le rer qui rame bloqué quelques part vers Port-Royal dans le tunnel et les lumières de vomi accrochées tout autour
Mon sac dans lequel j'ai oublié plein de trucs comme d'habitude
L'affluence la foule qui prend à la gorge
La boîte de chocolats à moitié écrasée
Le changement à courir aussi vite qu'on peut l'oeil vissé sur la montre
Se tromper de voie dans la précipitation
Sauter dans le premier wagon moins d'une minute avant que le train ne parte
Déranger le monsieur-à-cravate d'en face avec ses trop longues jambes
Poser la joue contre le rêvetement uniforme des sièges
Embêter son voisin pour avoir la place près de la fenêtre en lui faisant croire qu'on va vomir si on ne se trouve pas à côté d'elle
Poser la joue contre la vitre
Avoir froid. Avoir perdu son manteau.
Retaper tant bien que mal la boite de chocolats
Se balader dans les wagons quasiment vides à la fin de la traversée avec l'impression d'être dans un autre univers
Arriver
Pas reconnaître les gens mais sourire quand même
Les projecteurs multicolores sur la scène vide
Les voix graves et aigües qui s'emmêlent
Les paroles qu'elle m'avait tellement chantées avant et qui prennent ici tout leur sens
Se surprendre à articuler sans bruit du bout des lèvres en même temps qu'eux
Se dire que c'est déjà fini
Faire le tour de la salle pendant qu'elle me présente tout le monde
Voir des sortes de personnages de livres prendre vie
Jeter mes affaires en boule
La peluche des JO qu'est si moche et si ridicule et qui a sans doute fait plus de sauts en hauteur qu'elle n'en avait jamais vu
Se réveiller en grognant parce qu'il est tard
L'écouter parler de Tahiti
Harold et Maud, surtout Harold mais beaucoup Maud
Calvin et Hobbes, surtout Calvin mais beaucoup Hobbes
Pas réussir à l'empêcher de trembler
Pas réussir à s'empêcher de pleurer
S'endormir dans la voiture les petites routes grises et les immenses champs pâles délavés et ma tête qui bringuebalait et menaçait de se détacher de mon corps
S'asseoir dans des fauteuils rugueux qui rassurent
Faire de la pâte modeler avec une petite fille de quatre ans et constater que mes longues années d'expérience dans le domaine payent bien
Se demander si les crocodiles en pâte à modeler doivent avoir ou pas des oreilles
Eclabousser une petite fille de deux ans dans son bain
Ecraser une poupée aux cheveux violets
Jouer au "chaud-ou-froid" avec les petites demoiselles qui se finit en drame-bobo-pansement-calin
Se voir offrir gracieusement des apéricubes
Se faire pardonner par la petite demoiselle en lui proposant mes genoux
Rire
Grogner parce qu'on m'a mis l'Internationale dans la tête
Se réfugier sur le gros coussin du bureau avec l'autre
Casser deux lattes du sommier en se disant qu'on est douée
L'entendre lire et lire soi-même un peu de Messieurs les Enfants
Trouver ça si chouette qu'on ne peut pas le dire mais le mettre autour de son cou et pas l'enlever
Dormir près d'elle dans l'espoir de la calmer un peu si jamais on peut on verra bien on aimerait quand même faire quelque chose
Cacher mon visage qui attire les charognards il la mérite pas
Traîner en bonne larve heureuse parce qu'on sait que ça recommencera pas avant longtemps
Fourrer tout en boule dans son sac pour pas émietter les minutes restantes
S'étonner de parler autant à midi se dire qu'on s'habitue c'est rare
Chansons elle chantonne en même temps
Râter son train comme une idiote en le voyant s'arrêter à la gare croire que c'est le mauvais et donc le laisser passer
Une fois réalisé que c'était le bon s'engouffrer dans la voiture en espérant le surprendre à la prochaine gare
Vexer un papi-à-casquette qui roulait trop lentement
Transformer ses horaires de trains en lambeaux à force de les triturer
Foncer dans des petites rues pavées
Prendre le train de justesse mais en ayant gagné quelques minutes en plus avec tout ça
Regarder les orties dans les fossés de Fontainebleau
Chanter nos chansons dans le wagon sans se soucier des gens perplexes
Débarquer à Paris en ayant l'impression qu'on est toujours là-bas, emmitoufflée dans sa laine noire, son écharpe préférée mollement enlacée autour du cou, les cheveux se tordant comme des gros vers cuivrés sur les épaules, le même pantalon qu'on avait en partant parce qu'on a oublié celui de rechange, une petite trace de suie sur la joue. Etre une djeune-qui-revient-de-voyage mais pouvoir respirer un bon coup.
Se dire que vous avez pas tout lu, et tant mieux, c'est entre elle moi et les vaches qui ont des ailes
à 01:26