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Le plus grand des Dalton

Ma grand-mère pense que c'est une déviance d'aller au théâtre seule. Et quand je lui réponds "Pourquoi? J'y vais pour la pièce, pas pour les gens qui m'accompagnent", elle ouvre des yeux ébahis.
Parce qu'il n'y aurait que les vieilles filles, les malades contagieux et les misanthropes pour aller au théâtre seuls.

Ma grand-mère pense en fait que tout mon être est une énorme déviance qui passe son temps à déviancer encore plus. Quand j’étais petite, toujours fourrée avec un bouquin dans les mains (ouvert, les page froissées et malaxées par les doigts) un autre dans la poche (replié comme un fœtus en attente), elle passait son temps à tourner autour de moi comme un vieux vautour en criant « Lâche ce livre, lâche ce livre, et fais quelque chose ».

Car lire et faire étaient différents.

Comme beaucoup de gens, elle lit avant de dormir, dans le train en comptant les stations du bout du cerveau, dans la salle d’attente du docteur quand il y a la mère machin – « toujours un peu de travers celle-là » - qui monopolise encore le médecin pendant des heures. Elle lisait quand elle n’avait rien à faire.

Moi je me tassais entre les coussins du canapé, celui qui grince comme un agonisant, jusqu’à m’enfoncer dans la séparation des deux du milieu. Je me disais qu’au bout d’un moment j’allais finir par être happé par la fente, comme on tombe dans un trou moelleux et chaud. Je levais le livre très haut. Les rares fois où je suis allée à la messe (pure curiosité), j’ai toujours comparé la façon dont le prêtre avait de lever l’hostie vers la gueule de Jésus à la façon que j’avais de hisser mon livre vers la lumière. Quand mes bras fatiguais, je plaçais un coussin, voire deux. Pour que le livre soit toujours en haut.

Il y a deux solutions. La première consistait à lire le live avec une voix dans la tête, comme si c’était quelqu’un qui racontait. La deuxième, ne pas penser aux mots mais penser aux images. J’aimais les deux. Chez Kafka j’ai plus l’impression de la voix, même si je vois son père comme on pourrait imaginer l’allégorie de Jupiter. Chez Marie Cardinal je vois les images, tout le temps. Quand je ferme les yeux je vois Marie Cardinal enfant. C’est con, je l’imagine en robe blanche ; en fait non, c’est pas con, elle dit ça dans le texte.

Je ne peux pas lire dans une salle d’attente, dans le train, dans un hall, dans un café. Parce que tout le reste tourbillonne, les gens parlent, les gens bougent, il y a des verres renversés dans des éclats de stupeur et des stations hurlées au bip des rames, des passages frénétiques ou hésitants, bref il y a tout un « autour » et moi je ne voulais qu’un « dans ». C’est peut-être pour ça que je m’acharnais à me lover entre les deux coussins. Dans le fauteuil en lui-même, à l’intérieur. Avec le livre.

De loin, le spectacle devait être assez comique. J’imagine bien ce tas de chair immergé dans le tissu, avec ce livre, brandi, sanctifié, qui sortait comme une figure de proue.

Il y a eut un moment bête où, pour lire, je ne mangeais plus, je ne me dormais plus. Je crois que c’était à cause d’une sorte de surenchère. Un livre, évidemment, appelle à être fini : les derniers mots, les derniers pages. Et puis une fois achevé, je ressentais toujours un grand vide, un grand plat, presque une angoisse. C’était le trou. Je m’apercevais que j’étais dans mon lit avec les draps, le mur, le papier peint que j’arrachais du bout des doigts, le placard, le lit de Kévin à côté, blanc à barreaux blancs. Il n’y avait dans ces moments-là, ni hall ni gare ni salle d’attente, juste un immense silence, le silence des livres. Et sans livre, ce silence devenait néant, le néant de mon père qui ne parle plus ou d’une maison sans chats.

Je suppose que j’étais l’archétype même de la gamine qui n’a rien d’autre à faire, alors je ne faisais plus rien, et je lisais.

Quand il se sont aperçus que je ne faisais vraiment plus rien d’autre – ni manger ni dormir – ils ont supprimé les livres. Et j’ai recommencé, pas à dormir et à manger, mais à bouffer et à piauler. C’était devenu plus vulgaire. Le rien avait appelé la nourriture, les masses dans l’assiette, le bouffi des rêves, les matins écœurés par leur propre sommeil.

Je me souviens d’avoir essayé par tous les moyens de grappiller sur la bouffe et le lit pour en arracher des mots, des mots, des mots. Je me suis attaquée à l’heure du bain. J’emportais le livre et je le lisais dans l’eau. Quand quelqu’un entrait, je le cachais sous la mousse du savon.

Ils ont fini par s’apercevoir que mes livres étaient tous gondolés, dilués. J’ai dit que je les nettoyais fréquemment, comme pour les humains.

Les livres les plus lus partaient en miettes.

Ensuite ils ont redonné les livres. Si ça avait été quelque chose de mal vu en général, comme les jeux vidéos, la télé, tout ça ; je suis sûre qu’ils l’auraient interdit définitivement. Mais les livres ? Et à côté de ça tous les parents qui venaient étaler leurs tripes devant moi en gémissant que leur gosse à eux ne lisait pas, et vous avez tellement de chance avec cette petite, comment faîtes-vous ? Et ma grand-mère de protester d’une voix très vive « Mais elle lit trop, elle lit trop ! », en jetant le trop comme on lance un caillou pour faire des ricochets. Et les autres souriaient bêtement ; lire trop, c’est un péché pardonnable, c’est une exagération excusable, c’est même mignon comme faute. Les gosses qui lisent trop, on leur tapote la tête en se demandant quand est-ce qu’ils auront besoin de lunettes.

Mamie ne leur parlait ni de la nourriture oubliée, ni du sommeil écrasé, ni de l’oubli des vêtements, des horaires, des gens dans la pièce, du robinet qui tsunamise, des silences, des mordillements de doigts, des « hein, quoi ? » que je répétais à tout bout de champ, des regards dans le vide, des sursauts, des sourires au mauvais moment, comme si tout était un peu trop décalé, un peu trop à côté de ma plaque.

(Je me souviens d'une pièce de théâtre, en primaire, sur Lucky Luke. On m'avait confié le rôle du plus grand des Dalton, là, Averell je crois, parce qu'il ne comprend à rien à rien, qu'il trébuche toujours quand il marche et qu'il a toujours l'air paumé.
Et puis parce que j'étais grande, aussi.)

[D'ici je vois déjà vos regards acides. Ceci n'est pas le cliché de la petite intello martyrisée. Ceci n'est que du passé. Je lisais trop comme certains ont des manies agaçantes: ce n'était ni positif ni attendrissant. Et puis je n'ai pas toujours pas édifié de temple à Roald Dahl, même si ses livres ont du boucher le syphon de la baignoire]

Ecrit par Kohva, le Jeudi 30 Décembre 2004, 02:08 dans la rubrique "".


Commentaires :

  pas-pareil
pas-pareil
30-12-04
à 03:10

(J'préférais l'ancien titre.)

(Bon ok, je l'ai déjà oublié, mais chut.)

(Bon d'accord, celui-là est mieux, en plus, il fait référence à Lucky Luke)

  Kohva
Kohva
30-12-04
à 14:34

Re:

L'autre faisait un peu trop "geignement", j'avais l'impression :p

(C'était 'Traviole')

En même temps y a que toi pour traîner sur joueb à des heures pas possibles et voir les premiers titres :p


  pas-pareil
pas-pareil
01-01-05
à 04:19

Re: Re:

C'est pas "pas possible" 2h :p.. (il est même 3h20 là, tiens)

Pendant que j'y pense, mon mail est toujours là si t'as des questions sur la prépa ^^