Chez moi, Noël a la gorge sèche. Noël accouche d'un quintuor bouffont, Papa Maman Frère Mamy et moi.
Tout le monde se lance des horreurs à la tête autour du délicieux, fabuleux, délectable chapon qui rugit, tout doré, dans sa sauce. Nous sommes dans une pièce calme, les photos ne bougent pas dans leurs cadres. Les radiateurs turbinent au diable, les marrons envahissent l'estomac. Mamy attaque le monde entier et Maman attaque Mamy, un combat de hyènes qui se déroule entre sourires et convenances, pâleurs et endurance.
"- Notre sapin est beau, cette année.
"- Vous sous-entendez que le mien ne l'est pas?
"- Mais non je...
"- J'ai compris. Je n'en ferai pas l'année prochaine."Noël est une fête de famille qui se déroule dans le sang des oies. La carcasse des dindes fissure et laisse échapper des coulées de rancoeur. Les vaisseaux-carcasses vont sombrer quelque part vers le 26 janvier, bien amôchés si tout s'est passé correctement, bien brisés si une crise a éclaté quelque part.
"- Je n'aime vraiment pas les jouets que vous lui avez offerts.
"- Ca tombe bien, ils ne sont pas pour vous.
"- Si c'est comme ça, je ne lui en achèterai pas, tant pis pour lui."Personne ne se découpe à l'aide du couteau à chapon, personne ne prend les marrons pour projectiles ni n'égorge son voisin avec les restes de la bouteille de champagne. Mais dans tout ce doré de circonstance, tout ces maquillages (bariolés comme chez les clowns), trône quelque chose de violent et de sage.
Chez moi tout est parfait à Noël, et cette perfection nous éreinte, nous creuse les boyaux. Ma grand-mère a les ongles taillés en amande, dix petites pointes qui rentrent dans la chair du bras quand le coude est posé sur la table. Elle met du durcisseur à ongles, en plus. Maman se trace un trait de khôl noir très épais et très lourd au-dessus des cils, en forme d'augure noire. Les mercenaires se préparent avec lenteur et précision. On doit faire les photos de Noël en posant sur le canapé vert, ne pas sourire
avec les dents voyons c'est laid on voit toutes tes incisives comme si elles n'étaient pas assez grandes comme ça, ce qui donne un résultat à hurler de rire, à mi-chemin entre la chirurgie esthétique râtée et le fameux sourire de la dinde éventrée.
Quand quelqu'un a battu quelqu'un d'autre (généralement c'est ma mère qui gagne parce qu'elle est très forte au jeu), le vaincu peut aller se ressourcer à la cuisine en faisant semblant d'aller chercher du pain, c'est la solution de dignité accordée aux perdants, ceux qui ne veulent pas pleurer en public.
Chez moi on se crache tellement dessus, que quand on me demande pourquoi je suis avec lui, je ne peux que répondre qu'il est gentil, même si l'adjectif est le plus con du monde. Lui ne tuera personne à Noël, pas même une huître. Sa joue fait un reposoir à cruauté.
M'en fiche, chez moi on fête aussi Hanouka. C'est mieux, Hanouka, à cause des bougies et des vieux chants.
(Peut-être que plus tard, je fêterai toujours Hanouka, jamais Noël)
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LeCloneDeJokeromega
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Oui en effet et d’ailleurs souvent les portraits hauts en couleurs (qui tirent sur le gris)ici souvent tendent à la caricature tellement ça semble ‘énorme’ mais, d’abord je crois que Audrey est sérieuse sur le fond, même si elle y glisse son humour jaune – comme tout bon auteur qui se respecte, ensuite il y a la question de la responsabilité de ce qu’on écrit. Je m’explique. Oh bien sûr ! Déjà je m’assène mon propre bémol, moi premier j’ai aimé Céline et ses deux premiers romans, loin de moi l’idée d’imposer un sens éthique, et donc arbitraire, aux écritures, mais quand même pas si loin, je veux dire, son Bagatelles pour un massacre que j’ai téléchargé sur le réseau j’en ai vite gavé et il commence à sérieusement prendre la poussière sur une étagère d’où il a peu de chance d’un jour émerger, et le truc vois-tu, sur une ou deux pages, ou même dix, ça aurait probablement passé, je me serais dit " bon, chacun sa folie, lui il avait la névrose des juifs, bon, c’est indigne de son intelligence, mais pas d’éthique qui tienne dans l’art etc bla-bla-bla ", seulement sur la durée, j’y arrive, oui, sur la durée ça ne passe plus comme ça. Pourquoi ? Parce que c’est sur la durée qu’on se rend compte de la valeur d’une œuvre. Certes ceci est un blog (dont les prétentions sont à définir mais en principe son auteur est tout de même porté sur la réflexion, je crois), mais j’aime bien tout penser, et penser tout, même si j’en sais l’utopie. Alors je m’imagine qu’on essaye d’atteindre la durée, voilà. La durée... Mais oui, par moment c’est très marrant, tout comme les humoristes sont très marrants... et très salauds la plupart du temps, sous couvert du rire ils font passer les pires bassesses, sans jamais tenir compte de ce qu’ils peuvent blesser profondément. Mais je conçois que chacun a ses raisons, c’est juste que, parfois on aimerait que certaines personnes accèdent au niveau supérieur. Oui, j’ai cette fâcheuse (ô combien, oh que oui…) tendance à vouloir toutes sortes de dénouements qui me sont chers. C’est ce qu’on appelle une tyrannie de la pensée mais qu’on se rassure, elle arrête pas de se faire révolutionner. PS : et tout de même, si je prends la peine de raconter tout ça, c’est que, hein, je l’aime ce blog (même s’il m’énerve une fois sur deux, enfin, ça fait partie du charme diront certains, et il est vrai, j’aurais du mal à contredire, mais il y a mieux moi je dis !)
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à 03:13