Dans le rer, j'ai rencontré une jeune fille comme moi.
Je l'ai observée longtemps, en me disant que c'était pas possible; que elle, elle devait avoir une explication logique pour être comme ça. Mais ça ne trompe pas, ces cheveux qu'on entremêle savamment, avec des petites pinces [comme des roses sur de la pourriture], et qui laissent quand même voir les trous.
Elle, elle en avait un grand, mais comme elle était blonde, on ne le distinguait pas vraiment. Juste un endroit où tout s'était effiloché; mais je savais que c'était pas le hasard; je reconnaissais les détails, la bordure, le nomansland mort.. Tellement caractéristique.
Juste un endroit où on voyait s'afficher au grand jour son angoisse et sa nervosité.
Je l'ai fixée longtemps, de mes yeux évidés à moi aussi. J'aurais voulu qu'elle comprenne, que d'un regard.. je veux dire.. qu'elle réalise aussi que j'étais comme elle. Que tous les soirs.. parce que moi c'est surtout le soir.. et puis, maintenant, mes cheveux, ça va.. le reste, bon.. Des fois je tiens un mois quand même..
J'aurais voulu lui parler, vraiment. J'ai même pensé lui laisser un mot griffonné sur un papier, en le glissant dans sa main au moment de sortir du wagon. J'y aurais écrit des phrases très banales, peut-être même un "je sais" tout simple. Mais ça l'aurait gênée; après tout, on doit avoir honte, on doit se planquer et continuer à s'évider. D'ailleurs je me sentais presque obscène, à regarder comme ça cette espèce de.. plaie.
Dans la lumière dégueulasse du train, sa tête stigmatisée se balançait doucement. Elle avait l'air très soignée; jolis habits, soupçon de maquillage, sac tenu docilement contre son abdomen, et pourtant cette grande plaque de vide au sommet de son être.
Louise XIV vous salue bien.
à 00:20