Crachats d'étoiles

Avec de gestes qui rappellent ceux dont on ne se souvient pas, Maman passe de chambre en chambre, sa cocotte minute pleine d'eucalyptus à la main, et elle désinfecte, comme elle dit. Elle pose la cocotte au milieu de la pièce, et débouche la petite chose à vapeur d'un coup. Elle laisse la vapeur sortir à grands jets, jusqu'à ce que le sifflement s'éteigne de lui-même.

Ensuite elle a l'air profondément apaisée, comme si elle venait de terrasser tous les microbes du monde.



Maman, je crois, passe sa vie à lutter contre les microbes. Si les villes avaient encore des rats, Maman se battrait à coups de dératiseurs et de pièges à fromage. Elle a compris qu'elle était investie d'une mission étrange, qui consiste à nous empêcher d'être grignotés.



Ce n'est pas ce qu'on pourrait appeler de la servilité ou de la protection. Comme tout le monde, elle a ses moments cruels (le samedi, parce que c'est le jour de la sieste).
Ma grand-mère, elle, est protectrice: elle fait évoluer son monde au chaud des édredons, elle nous manipule comme de la levure qui doit gonfler. Elle nous envoie fréquemment au service militaire des âmes et peste contre les trottoirs, les halls, les fêtes, les salles de classe qui nous embobinent la tête et nous font tomber malade à l'occasion (elle peut alors nous soigner en nous appliquant sur le front des gants de toilette humidifiés d'eau de cologne, des glaçons spéciaux pour la migraine, tout un bric-à-brac ensorcelant).

Ma grand-mère hait ma mère parce qu'elles sont toutes les deux des Femmes Fortes, du genre à s'arracher un membre par-ci par-là, dans une salle à manger un peu vieillotte. Ma grand-mère grandit autour des gens comme une enceinte qui mimerait le vieux ventre dégonflé ; ma mère nous expulse et se demande comment faire pour qu'on ne se désagrège pas trop vite.

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La question est, quel type de Femme Forte les Femmes Fortes engendrent-elles?