Est-ce que je dois partir à Tokyo, comme on me le propose –
six mois ? Tout le monde dit oui mais je sais bien ce que sont les mots :
tout le monde ne le ferait pas à ma place, de peur de perdre les quelques
petits privilèges des années filées. On veut toujours les grands espoirs pour
les autres, c’est une manière de les avoir pour soi-même sans prendre aucun des
risques. Je sais bien pourtant ce que les mots de C. ont de vrai – mais ça ne
compte pas, c’est un kamikaze suicidaire de scorpions et de juntes en tous
genres.
Ma mère, comme toujours, demande : « Est-ce que tu
es sûre que c’est la bonne décision ? », ce qui est une façon
soi-disant non-infantilisante de m’infantiliser et de me faire renoncer.
Mon père, comme toujours, n’a rien dit, si ce n’est « Qu’est-ce
qui est le mieux pour ton avenir ? » ce qui ne veut rien dire comme
question, et qui est franchement un moyen déloyal de me renvoyer la balle et de
la jeter dans une impasse, puisque n’avons définitivement pas la même
définition de « l’avenir ». Mon père et moi passons notre temps à
avoir des discussions où les mots ne veulent pas dire la même chose.
Le chat a dit : « Reste avec moi, je veux te faire
des câlins et des ronrons dans le giron. » Enfin ça, c’est ma tendresse
qui a interprété, ça pouvait aussi bien dire : « Rapporte-moi des
croquettes japonaises, et plus vite que ça. »
Ecrit par Kohva, le Mercredi 9 Décembre 2009, 01:09 dans la rubrique "".
C. veut un pied à terre merveilleux au Japon, une excuse pour s'enfuir d'un coup et faire la nique à tout. C. veut que tu lui manques pour être obligée d'arriver en courant, et acheter des petites culottes d'écolières à ramener aux copains.
Notre esprit ne parvient pas à se résoudre à renoncer. On imagine tellement de possibles que devoir en choisir un seul, même grandiose, nous paraît médiocre.
*
J'ai également eu cette opportunité. Partir vivre à l'étranger est la plus enrichissante expérience qui m'a été donné de vivre. S'immerger dans une autre culture élargit fabuleusement le champ de la réflexion.
*
Ceux qui veulent laisser du temps au temps ont renoncé à tout. Ceux-là ont voulu oublier que la vie peut être extra-ordinaire, si pour cela, on franchit les portes qui s'ouvrent.
"Le voyage ne vous apprendra rien
si vous ne lui laissez pas aussi le droit de vous détruire. C'est une
règle vieille comme le monde. Un voyage est comme un naufrage, et ceux
dont le bateau n'a pas coulé ne sauront jamais rien de la mer. Le
reste, c'est du patinage ou du tourisme."
Nicolas Bouvier, in Le Vide et le Plein. Carnets du Japon.
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